«
On est encore dans le placard, qu'est-ce-que t'as foutu Lil ? » Je me prend la tête entre les mains, et je la secoue. Je n'ai pas envie d'entendre Liv. Même si elle est toujours là pour moi, elle, et qu'elle sèche souvent mes larmes, je n'ai pas envie de l'entendre cette fois-ci. Je pleure. «
J'suis désolée, Liv, mais j'te jure que j'ai pas fait exprès ! » «
Faut pas pleurer Lil, c'est de leur faute ! Tu verras, un jour, on s'en ira d'ici juste toutes les deux ! » Je hoche la tête et essuie mes yeux du revers de la main. J'ai parlé à Liv à table aujourd'hui, parce qu'elle se moquait de moi, et maman m'a collé une baffe et m'a enfermée dans le placard. C'est ce qu'elle fait quand je parle à l'autre, parce qu'elle n'aime pas ça et qu'elle dit que c'est pas bien. J'essaye de pousser un peu les cartons à côté de moi, ils prennent toute la place. Il y en a un qui tombe, et des tas d'objets se répandent sur le sol. Maman vient taper contre la porte du placard pour que j'arrête de faire du bruit. Je regarde les objets éparpillés en vrac sur le sol, et l'un d'entre eux attire mon attention. Il fait sombre, je ne vois pas bien ce que c'est. Je le prends dans mes mains, il y a des plumes. «
Tu sais ce que c'est ? » me chuchote Liv. Je fais glisser mes doigts sur l'objet, on dirait une toile d'araignée. Avec des perles sur certains fils. «
Je crois que c'est un capteur de rêve, ça vient des indiens d'Amérique... » je lui répond en chuchotant aussi. J'ai continué à fouiner dans le tas d'objets, et j'en ai tiré un petit instrument rond. Il y avait des entailles dans le bois, et je les ai suivies avec mon index. Ce devait être un dessin, mais je n'ai pas réussi à deviner ce qu'il représentait. J'ai essayé de souffler dedans, mais il n'a produit qu'un son étouffé. «
Ça, je suis sûre que c'est un ocarina ! » «
Comment tu sais ça ? » Je lui ai sourit malicieusement. «
C'est papi qui m'a appris ! » Papi est antiquaire. Il est au moins aussi vieux que le père Noël, et il a une boutique avec plein de vieux objets, à Niou Iork, je crois. Il vient pas souvent, mais il m'a promis qu'un jour, je pourrais travailler à la boutique ! J'ai passé la nuit à souffler pour essayer de produire un son, sans réussir ; puis maman m'a autorisée à sortir le lendemain matin. Avant, j'ai chuchoté à Liv de ne pas me parler devant maman. On ne sait jamais.
En hiver, il fait nuit tôt. Ça me fait un peu peur de rentrer toute seule, alors papa vient me chercher en voiture. En général, je l'attends devant l'école, ou je m'assoie sur le banc pas très loin. Alors quand je suis sortie de l'école, je me suis assise sur le banc, et j'ai soufflé sur mes mains pour les réchauffer. J'attendais que papa arrive en voiture, il était un peu en retard, puis un monsieur s'est approché de moi en souriant. Je lui ai sourit aussi. Il portait un grand manteau noir. «
Bonjour ma petite ! Je suis un ami de ton papa, il m'a demandé de te ramener. » J'étais un peu étonnée que papa ne m'en ai jamais parlé, mais je me suis levée. «
T'es un ami de papa monsieur ?! » «
Oui, oui, c'est ça. Allez viens ! » Il m'a prit la main, et je l'ai suivit en sautillant et en chantonnant une comptine que j'avais appris en classe. «
Tu devrais attendre papa ! » m'a soufflé Liv. Je l'ai ignorée et j'ai continué à suivre "l'ami". Comme on rentre à pied, j'ai un peu froid. Et il fait noir, mais bon, vu que je suis avec l'ami, je n'ai pas trop peur. Je me demande pourquoi papa n'a pas pu venir. Puis le monsieur s'est écarté de la route habituelle pour prendre une petite rue. «
Tu fais quoi monsieur ? C'est pas par là ! » «
Il est tard, je prends un raccourci. » Ah, c'est chouette, je serai rentrée plus tôt ! J'ai hoché la tête et j'ai continué à le suivre. La ruelle était un cul-de-sac, je me suis retournée, surprise, vers le monsieur, et avant que je n'ai pu prononcer un mot, il m'a attrapé les bras avec force. «
Monsieur, tu me fais mal... » Un sourire carnassier déchire son visage, et il plaque violemment ses lèvres rugueuses contre les miennes. J'ai peur. Ça ne peut pas m'arriver. Je suis dans un cauchemar. «
Liv, steuplait, aide-moi ! » Elle n'a pas répondu. Puis l'homme à commencer à chantonner de sa voix rauque. La comptine. J'ai pleuré. J'ai crié. Personne ne m'a entendue. Et pendant qu'il me brisait, il chantait. Encore et encore. J'ai perdu connaissance. Puis après, il a filé, me laissant étendue, brisée, dans la petite rue. Quand j'ai repris conscience, le soleil était levé, et j'étais toute seule dans Paris. J'ai essayé de me lever en m'appuyant contre le mur. J'ai mal. J'ai essayé de marcher jusqu'à la grande rue, où des gens passaient. J'ai débouché dans le boulevard, et je me suis écroulée. Des gens se sont précipités. Ils ont appelé la police, et le samu. On m'a transportée à l'hôpital. Et quand j'étais enfermée dans la chambre blanche, Liv est revenue. «
On va se venger, Lil, on le retrouvera et on le tuera. » «
Pourquoi tu m'as pas aidée ? » Elle n'a pas répondu, parce que papa est entré, en pleurs. Maman n'était pas là. Puis après, je n'ai plus parlé à personne pendant plusieurs mois. J'ignorais Liv, papa, tout le monde. Le contre-coup.
Puis il m'a retrouvée, six ans plus tard. J'avais quatorze ans, et je trainais souvent dans les cafés après les cours. C'était mieux que de rentrer à la maison, ou papa et maman ne faisaient rien d'autre que de se balancer des insultes à la figure. Ça sentait le divorce. J'ai pris un chocolat chaud, comme d'habitude, je me suis installée à la table du fond et j'ai ouvert un livre en anglais, parce que je veux absolument apprendre à parler cette langue. C'est toujours utile. Je lisait lentement le livre en sirotant ma boisson, puis j'ai entendu un murmure de Liv. «
On t'observe ! » a-t-elle soufflé. J'ai levé la tête, surprise. Il y avait bien un homme, au bar, les cheveux poivre-sel et un sourire malsain. J'ai immédiatement reconnue ses petits yeux porcins. J'ai baissé la tête vers mon livre. Il m'a retrouvée. Il m'a retrouvée. J'ai peur. «
C'est l'occasion ! La vengeance dont tu as rêvé ! » «
Non. » Je ne me sentais pas la force de l'affronter. Pas maintenant. J'ai vite fini ma tasse, et j'ai payé ma consommation. Puis j'ai filé hors du café. Même à la maison, c'était moins risqué. Je marchais vite, vers la maison. «
Il te suit ! Il te suffit juste de le tuer ! » J'ai refusé catégoriquement. «
Laisse tomber, je vais m'en occuper. » Et c'est le noir. Quand j'ai repris le contrôle de mon corps, l'homme était allongé par terre, mort, ensanglanté, la tête éclatée cerclée par une mare de sang. J'ai réprimé mon envie de vomir, et j'ai filé. La police n'a pas trouvé de preuves. Juste un bloc de ciment et un corps bien amoché. Aucune trace.
Depuis que l'homme est mort, je vis beaucoup mieux. Même si la solution était vraiment extrême, je suis reconnaissante envers Liv. C'était ce dont je rêvais, de lui éclater le crâne, et elle l'a fait pour moi. Et parfaitement. Installée au réfectoire, je feuilletais tranquillement un livre en écoutant de la musique. C'était il y a trois ans, déjà, et je vois encore le corps inerte étendu sur les pavés. Ça m'a un peu traumatisée au début, alors je parlais avec Liv tout le temps, devant mes parents, devant les autres... Papa et maman se sont beaucoup disputés à mon sujet, mais ils n'ont pas divorcé. Ils continuent donc à se cracher du venin à la figure constamment. Quand ils se croisent, on peut presque voir le poison suinter dans leur bouche. Puis on m'a arraché mes écouteurs et une main manucurée s'est posée sur le bouquin. «
C'est vrai que t'as couché avec mon mec ? » J'ai levé les yeux vers le visage sur-maquillé de mon interlocutrice. Mes sourcils devaient former un point d'interrogation, tellement je n'y comprenais rien. Je ne la connaissait même pas, et son petit copain encore moins. Puis soudain, ça m'a parut évident. «
Liv... » «
Désolée Lil, mais ce mec est trop hot. Et puis il me l'a proposé ouvertement. » répondit-elle pour se justifier. J'ai soupiré. Dans quel problème est-ce-qu'elle m'avait fourrée ? «
Ça t'arrive jamais de te tenir tranquille ? » La fille a tapé contre la table avec sa main. On aurait presque pu voir ses yeux me lancer des éclairs. Elle exigeait une réponse immédiate. «
Je... Non, non, je... » «
T'es vraiment nulle pour mentir. Laisse moi faire. » Encore un trou noir. Liv a prit le contrôle, et qui sait quelle connerie elle allait bien pouvoir faire. Tout ce dont je me souviens, c'est que la fille s'est dirigée vers une autre table en fulminant. «
T'es vraiment une pétasse ! » hurlait-elle à une autre fille. Je me demande bien ce que Liv a pu lui raconter. «
Tu vois, c'est aussi simple que ça ! » «
Ça serait plus simple si t'arrêtais de jouer la prostituée. Avec mon corps, en plus. » Liv a émit un son méprisant, et est retournée se terrer au fin fond de mon esprit. Pour bouder, certainement.
La nuit dernière avait été horrible. Mal de tête, fièvre pas possible, des frissons dans tout le corps et l'impression que quelqu'un fait de la pâte à modeler avec vos entrailles. Voilà la nuit que j'ai passé. Maintenant, j'ai dix-huit ans et un jour. Je suis majeure et définitivement adulte au niveau de la loi. «
On a enfin dix-huit ans Lil ! On va pouvoir partir de cet endroit plein de cons ! » J'ai fait un petit sourire. «
C'est mes parents Liv, ils sont pas si méchants que ça. Et puis je veux avoir mon bac avant de partir. » Après, je n'ai pas dormis la nuit suivante puisque Liv et moi n'avons pas arrêté de nous disputer. Je suis fatiguée.
Et voilà, on m'a officiellement remis le bout de papier qui attestait que j'avais eu mon bac littéraire. Je peux partir. Je sais déjà ce que je vais faire. Aller m'installer à New York et reprendre la boutique d'antiquités de mon grand-père. Il va en profiter pour partir à la retraite, et aller vivre au Pérou, comme il a toujours rêvé. Je ne sais pas encore si je dois l'annoncer à mes parents. Liv pense que non, grand-père que oui. Moi, j'hésite. Je suis rentrée avec mon père, ma mère est restée à la maison. «
Je pars vivre à New York. Je vais reprendre la boutique de papi, et son appartement. Lui, il part au Pérou. » Fausse inquiétude de ma mère. Vraie de mon père. Il a commencé à me bombarder de questions et de principes moraux. «
Je ne demandais pas l'autorisation. Je m'en vais. » J'ai acheté à la dernière minute un billet pour New York. Ça m'a couté une petite fortune, mais l'argent sur mon livret a tout financé. J'ai fais mes bagages, et je suis partie. «
On va s'amuser comme des petites folles, toutes les deux ! » Ah, oui, elle est toujours là, elle. Il faudra que j'essaye de trouver des médocs plus forts pour ça. Sinon, je vais devenir folle.